La ligne qui sépare la « science » de la magie est souvent très subtile, c’est pourquoi, pour comprendre ce qui se cache derrière ce qu’on appelle « magie » au Moyen Âge, on aborde souvent d’autres thèmes, tels que la santé, la religion, l’astronomie, etc.
Certaines attisent le désir, provoquent l’amour, attirent la chance ou portent la poisse. Il est des plantes qui embellissent, d’autres qui rendent fous. Difficile de distinguer, entre les centaines de milliers de végétaux qui nous entourent, ceux qui sont un simple ornement de la nature, les porteurs de messages ou les plantes missionnaires. Certaines d’entre elles ont toutes ces propriétés à la fois. Mais, si l’on étudie tout cela d’un peu plus près, on s’aperçoit très vite qu’aucune plante n’est anodine, nul arbre sans vertus, nulle fleur innocente. Ne dit-on pas de quelqu’un qui a toutes les chances et vit dans le bonheur, qu’il « baigne dans le trèfle », que pour conjurer le mauvais sort il faut « toucher du bois » ?
Les plantes magiques
Depuis la nuit des temps les humains ont compris que la nature et ses fruits gardent les réponses pour affronter, pas seulement les soucis physiques mais aussi et surtout pour surmonter un grand nombre de problèmes de la vie quotidienne. Au Moyen Âge c’est la méconnaissance des principes scientifiques liés aux plantes qui attribue à celles-ci des pouvoirs défensifs et surnaturels. La seule différence avec l’usage médical réside dans le fait que les plantes utilisées dans la magie suivent un rituel faisant appel à des forces invisibles. A travers des prières et des invocations ; les onguents, les philtres et les potions produits, acquerront, selon le cas, des propriétés bienfaisantes et protectrices ou maléfiques et empoisonnantes.
C’est avec le développement du christianisme que bonne et mauvaise magie se séparent et que le mage, de simple intermédiaire de la nature se transforme en sorcier et que les racines de toute espèce, de sources de vie, se transfigurent en êtres maléfiques, de leur proximité au monde souterrain, le monde des démons, des morts, des pulsions et des vices.
Guérisseuses et gardiennes, aphrodisiaques ou porte chance, consolatrices ou divinatoires ; les plantes étaient utilisées pour leurs qualités individuelles ou pour les propriétés qu’elles acquièrent en combinaison avec d’autres ingrédients.
Selon les croyances ancestrales les plantes étaient également régies par les planètes et leur cueillette ne se faisait qu’en relation avec la position du soleil et de la lune. Une différente configuration des astres impliquait un effet différent pour le philtre qu’on préparait.
Souvent plantes sacrées, elles étaient indispensables pas seulement aux rites magiques, mais aussi aux cérémonies religieuses associés aux différentes étapes de la vie.
De la naissance à la mort, les plantes servaient à la purification des esprits et à la protection contre les méfaits des démons. Le lin qui selon la tradition est censé éloigner le mal, servait (et sert encore) à confectionner les habits des prêtres, par exemple.
Les herbes médicinales et magiques au Moyen Âge
La connaissance des effets thérapeutiques et des pouvoirs étranges des plantes remonte très probablement aux origines de l’humanité. Au Moyen Âge, l’univers végétal, loin de fournir seulement des éléments indispensables à l’alimentation des hommes et des animaux, est au centre d’un système relationnel complexe entre environnement et société. Omniprésente dans la vie quotidienne, divinatoires, consolatrices, protectrices, guérisseuses, maléfiques… Des centaines d’espèces alimentant un savoir empirique millénaire ou des superstitions tenaces, entrent dans la composition d’onguents, de potions, de philtres… Pharmacopée et magie s’entremêlent inextricablement. La preuve par huit d’entre elles :
1. Le Datura
Gare à cette solanacée aux fleurs en forme de trompette, elle entre dans la composition d’onguents destinés à provoquer des transes, des hallucinations et des sensations de lévitation (la scopolamine contenue dans cette plante toxique, comme on le sait aujourd’hui, fait perdre la volonté et la mémoire des faits postérieurs à la prise) ! Également considéré comme aphrodisiaque, la datura pourrait être à l’origine des visions fantastiques grouillant de boucs et de démons lubriques dont les procès de sorcellerie font grand cas.
2. Le Millepertuis
Mentionné dans les écrits de Dioscoride (un médecin grec des armées de Néron), Galien, Pline l’Ancien, Hippocrate et Parcelse, le millepertuis, alias « l’herbe de Saint-Jean » (la légende voulant que cette simple soit née du sang de Saint-Jean-Baptiste) est surtout utilisé au Moyen Âge pour soulager les embarras digestifs, traiter les brûlures, les problèmes urinaires, les douleurs menstruelles, l’anémie… Cueilli au matin de la Saint-Jean, au plus fort des influences solaires, il passe également pour repousser l’esprit des ténèbres et guérir les possédés.
3. La Sauge
Salvia (je sauve). Son nom latin en dit long sur le crédit dont elle jouit depuis les temps les plus reculés. Dans la pharmacopée médiévale, la sauge est la plante reine des convalescents. Elle combat les sueurs, le manque d’appétit, la dépression physique et morale… Très en vogue à l’École de Salerne (l’école de médecine la plus importante du Moyen Âge) on dit de cette labiacée que “si son usage ne rend pas l’homme immortel, c’est qu’il n’y a point de remède contre la mort”.
4. La Mandragore
L’une des « armes » les plus redoutées de l’arsenal magique, à manier avec d’infinies précautions, comme la belladone. Réputée croître au pied des gibets où le sperme des pendus innocents la féconde, cette espèce de solanacée (dont la racine bifide, qui peut atteindre 60 cm de long évoque par sa forme les jambes d’un corps humain) pousse un cri terrifiant quand on veut l’arracher et ceux qui cherchent à s’en emparer son foudroyés ! Malgré son exécrable image de marque, la mandragore met parfois ses pouvoirs au service du Bien et assure prospérité et fertilité. À la Renaissance, ses alcaloïdes seront utilisés comme anesthésiques par Ambroise Paré.
5. La Jusquiame
Une multitude de légendes et de croyances s’attachent à cette cousine velue, visqueuse, narcotique et calmante de la mystérieuse mandragore. « Ceux qui en mangent sortent hors du sens, pensent qu’on les fouette par tout le corps, bégayant de la voix, bramant comme des ânes et hennissant ainsi que des chevaux« , commente au XIe siècle le médecin et philosophe perse Avicenne. Maléfique, la jusquiame fait partie des plantes entrant dans la préparation des breuvages et pommades qui emmènent les sorcières au sabbat. Bien que dangereuse, les « chirurgiens » utilisent toutefois ses graines pour calmer les rages de dents.
6. L’Angélique
Baptisée la « racine des anges » par le médecin suisse Paracelse (1493-1541), cette ombellifère est parée de toutes les vertus : un cataplasme de ses fleurs fraîches bouillies ou macérées dans de l’huile, dit-on, neutralise les venins, sa poudre ingérée dans une boisson apaise les troubles de l’estomac, les diarrhées, les toux, les grippes et les rhumes.
7. L’Hellébore
« Ma commère, il faut vous purger avec quatre grains d’hellébores » , dit le lièvre à l’insensée tortue qui prétend se mesurer à lui dans la Fable de La Fontaine. Qualifié de fétide en raison de l’odeur repoussante qu’elle dégage quand on la touche, l’hellébore, alias « herbe aux fous », passe pour soigner les dérangements cérébraux. Cet usage perdurera jusqu’au XIXe siècle.
8. L’armoise
Connue depuis l’Antiquité pour ses propriétés emménagogues (facilitant les règles), l’armoise, au Moyen Âge, a la réputation d’éloigner les dangers qui menacent le pauvre monde. « Celui qui porte toujours sur lui de cette herbe ne craint point le mauvais esprit, ni le poison, ni le feu et rien ne peut lui nuire », écrit au XIIIe siècle la savant et théologien Albert le Grand. Cette plante herbacée entre aussi dans la composition des philtres destinés à « dénouer l’aiguillette », un maléfice qui frappe d’impuissance les jeunes époux.
Laisser un commentaire